Dites-moi, combien gagnez-vous?

Inhabituel, choquant, irritant, incorrect et provoquant ! Vous sentez-vous agressé par cette simple question ? Est-ce qu’elle vous déstabilise ou la jugez-vous simplement stupide ?

En Suisse, on ne dit pas combien on gagne, et le demander à des inconnus est d’une insolence rare. Les propres salaires sont gardés comme un secret d’État en Suisse et sont rarement discutés en public. Quitte à révéler quelque chose en public, on préfère passer par des achats de prestige. C’est un bon moyen pour satisfaire la curiosité de ceux qui brûlent de connaître le contenu du porte-monnaie d’autrui. Au vu des objets précieux visibles, il suffit en effet d’une simple estimation comme suit : si cette personne peut s’offrir telle ou telle chose, elle doit gagner tant ! C’est simple, non ? 

Mais l’apparence est trompeuse et le calcul n’est pas si simple. La curiosité concernant le revenu des autres est presque toujours insatisfaite et reste un tabou. Contrairement à d’autres pays où les moeurs sont différentes, p. ex. en Angleterre ou en Suède. On y parle ouvertement des salaires et cela ne dérange personne. J’ai moi-même fait cette expérience à Londres il y a quelques années. Un collègue anglais m’y avait été présenté et la première question qu’il m’a posée était : How much are your earnings ? Cela m’a évidemment beaucoup embarrassé, parce que je ne m’y attendais pas. Une question en retour aurait été utile, car j’aurais peutêtre pu trouver une réponse appropriée. Je peux difficilement estimer si cette habitude de parler ouvertement des salaires est meilleure ou non. Mais l’expérience montre que la transparence débouche presque toujours sur des résultats positifs.

Les exceptions confirment la règle. La transparence sur les rémunérations a tôt fait de déclencher des discussions animées. Les personnes se sentent concernées, quelle que soit leur catégorie. Prenons par exemple la publication récente des salaires et des bonus des principaux cadres des grandes banques suisses. On reproche à ces établissements des rémunérations abusives, un manque de sensibilité et leur arrogance. Soit, même si ce n’est pas toujours justifié. Mais où se situe la limite d’un salaire correct et acceptable ? Dans ce cas, tout le monde pense être compétent pour s’en offusquer. Pire encore, on se sent petit et escroqué quand on fait le calcul et que l’on compare ces salaires surdimensionnés avec notre propre revenu.

On voit clairement qu’un excès de transparence peut aussi s’avérer délicat. Il attise non seulement la jalousie mais aussi la haine et crée des brèches qui n’ont en réalité pas lieu d’être.

Il est dès lors étonnant de voir que pratiquement personne ne s’offusque dans notre pays des revenus astronomiques des sportifs de haut niveau, en Suisse ou à l’étranger. Car cette catégorie professionnelle est l’une des rares qui est généralement très transparente. Les revenus sont même publiés dans le cadre de classements. Quand j’entends qu’un certain footballeur gagne entre 200 000 et 250 000 francs par jour (salaire annuel divisé par 365), je commence moi aussi à faire des calculs. Mieux encore, je prends rendezvous avec mon supérieur dès la semaine prochaine pour effectuer le calcul avec lui. En toute modestie, sur une base annuelle et non journalière ! Un conseil à tous ceux que cela énerve : ma base de négociation sera la suivante : taux journalier = taux annuel. Avec ce principe d’équilibre, le monde paraît meilleur. Bonne chance !
 

La chronique reflète l’opinion personnelle de l’auteur.